J’ai toujours adoré les cerises. Peut-être parce que je suis originaire de l’Yonne, grand département de production, et qu’elles accompagnent les belles journées ensoleillées de juin.
Peut-être aussi parce qu’elles sont si rondes et brillantes et qu’elles se déclinent sous bien des nuances de rouge, parfois sombre jusqu’au noir, parfois s’aventurant vers le jaune :
Elles m’évoquent également un charmant souvenir littéraire, celui d’un passage des Confessions, que Jean-Jacques Rousseau lui-même nomma « L’idylle aux cerises ».
Ayant aidé deux jeunes cavalières à traverser une rivière dans les environs d’Annecy, il accepta leur invitation.
C’est ainsi qu’il se remémore une scène pleine de gaieté et de sensualité :
« Après le dîner nous fîmes une économie : au lieu de prendre le café qui nous restait du déjeuner, nous le gardâmes pour le goûter avec de la crème et des gâteaux qu’elles avaient apportés ; et pour tenir notre appétit en haleine, nous allâmes dans le verger achever notre dessert avec des cerises. Je montai sur l’arbre, et je leur en jetais des bouquets dont elles me rendaient les noyaux à travers les branches. Une fois mademoiselle Galley, avançant son tablier et reculant la tête, se présentait si bien et je visai si juste, que je lui fis tomber un bouquet dans le sein ; et de rire. Je me disais en moi-même : Que mes lèvres ne sont-elles des cerises ! comme je les leur jetterais ainsi de bon cœur ! »
(Livre quatrième)
Ces derniers mots ont inspiré l’illustrateur Jean Jacques François Le Barbier :
Dans ce même XVIIIe siècle, François Boucher peint également des scènes galantes où des jeunes gens s’offrent des cerises :
Preuve que la scène a marqué, dans les années 1830, Camille Roqueplan représente à son tour « Jean-Jacques Rousseau cueillant des cerises et les jetant à Mlles Graffenried et Galley » :
Théophile Gautier lui consacre un article de ses Notices romantiques où il évoque cette toile :
« Qui n’a lu et relu avec délices dans les Confessions de Jean-Jacques Rousseau, l’histoire de mesdemoiselles Gallet, le passage du gué et la cueillette des cerises ? Roqueplan a traité ces deux sujets : les toiles de l’artiste valent les pages du prosateur, c’est tout dire ; rien n’est plus naïvement coquet, plus adorablement jeune. — Comme on comprend Rousseau, et qu’on voudrait jeter du haut de l’arbre ses lèvres, au lieu de cerises, sur le sein de ces belles filles ! »
N’hésitez donc pas à envoyer des baisers cerise à qui vous aimez !
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