Jusqu’au 23 juillet, le musée d’Orsay présente une exposition « Manet / Degas ».
On peut notamment y admirer ce tableau d’Édouard Manet intitulé « Nana » :
Exécuté en 1877, il est refusé au Salon, en raison de son sujet scabreux : une courtisane à demi déshabillée se maquille en présence d’un homme. Mais il obtient un vrai succès de curiosité dans la vitrine de la maison Giroux.
Le roman homonyme de Zola ne paraîtra qu’en 1880, mais Anna Coupeau, dite Nana, naît et grandit dans L’Assommoir, publié en feuilleton en 1876. Au corset près, la description qui ouvre le chapitre XI conviendrait bien au tableau de Manet :
« Nana grandissait, devenait garce. À quinze ans, elle avait poussé comme un veau, très blanche de chair, très grasse, si dodue même qu’on aurait dit une pelote. Oui, c’était ça, quinze ans, toutes ses dents et pas de corset. Une vraie frimousse de margot, trempée dans du lait, une peau veloutée de pêche, un nez drôle, un bec rose, des quinquets luisants auxquels les hommes avaient envie d’allumer leur pipe. Son tas de cheveux blonds, couleur d’avoine fraîche, semblait lui avoir jeté de la poudre d’or sur les tempes, des taches de rousseur, qui lui mettaient là une couronne de soleil. Ah ! une jolie pépée, comme disaient les Lorilleux, une morveuse qu’on aurait encore dû moucher et dont les grosses épaules avaient les rondeurs pleines, l’odeur mûre d’une femme faite. »
D’ailleurs Joris-Karl Huysmans ne s’y trompe pas, qui donne pour titre à un article de L’Artiste du 13 mai 1877 « La Nana de Manet » :
« Le sujet du tableau, le voici : Nana, la Nana de L’Assommoir, se poudre le visage d’une fleur de riz. Un monsieur la regarde. »
« Nana est debout, se détachant sur un fond où une grue passe, effleurant les touffes cramoisies de pivoines géantes ; elle est en corset, les épaules et les bras sont nus, la croupe renfle sous le jupon blanc, les jambes serrées dans des bas en soi grise, brochés sur le coup de pied, d’une fleur éclatante, se perdent, sans plis, dans des mules à hauts talons, d’un violet intense. Nana lève le bras et approche de son visage, sur lequel foisonne sa tignasse couleur de paille, la houppe qui va le nuer et couvrir de sa poussière embaumée par l’ihlang les minuscules points d’or qui mouchettent sa peau. »
Avec son style délicieusement « fin-de-siècle », Huysmans repère ce détail qui n’a rien d’anodin : une grue. Si ce motif correspond au japonisme de l’époque, nul doute que Manet joue sur l’équivoque d’un mot qui signifie également « prostituée » !
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