Dans le calendrier républicain français, le 23e jour du mois de frimaire, souvent notre 13 décembre, était dénommé jour du roseau.
La fable de La Fontaine
Ce mot de roseau me fait immanquablement penser à la fable de La Fontaine « Le chêne et le roseau », que j’ai eue envie de relire ; ici dans une version de 1906 illustrée par Benjamin Rabier :

Cette fable semble proposer une morale simple, conforme à celle d’Ésope qui l’a inspirée : la souplesse triomphe de la force.
Le chêne incarne ainsi la puissance trop sûre d’elle, tandis que le roseau accepte sa fragilité.
Toutefois, sous le règne de Louis XIV, cette opposition prend une dimension politique. Fin observateur du pouvoir, La Fontaine décrit une stratégie de prudence, voire une véritable leçon de courtisanerie. En effet, à la cour, résister frontalement au pouvoir, c’est se faire briser, alors que savoir plier, c’est durer.
La réécriture d’Anouilh
Lorsque Jean Anouilh, trois siècles plus tard, s’empare à son tour de cette fable il ne se contente pas de la moderniser, il la relit à l’aune d’un XXᵉ siècle marqué par la Deuxième Guerre mondiale :

Il conserve certes le premier vers, les deux personnages allégoriques, leur dialogue, une tempête destructrice et une morale.
Mais c’est le chêne qui formule les derniers mots et demeure intègre malgré sa chute. Le roseau, lui, ne fait que courber l’échine par lâcheté ; il se montre opportuniste, sans compassion voire haineux.
Anouilh valorise celui qui a résisté sans trahir ses valeurs, même au prix de sa vie.
La parodie de Queneau
Quant à Raymond Queneau, il reprend la même fable en remplaçant le chêne par un peuplier :

À l’origine, Ésope avait choisi un olivier. La métamorphose en chêne ajoutait de la grandeur.
Là, un simple peuplier est évidemment moins massif et moins noble. Sa chute est triviale : il « se casse la gueule ».
Queneau va plus loin encore qu’Anouilh dans la subversion et le désenchantement, effaçant les certitudes et gommant les hiérarchies.
Il n’y a pas de victoire, sinon « amère ».
Mais je crois surtout que la réécriture prend un tour résolument linguistique.
En remplaçant le chêne par un « peuplier », arbre qui « peut plier » par simple jeu d’homophonie, Queneau fait basculer toute la fable du côté de l’arbitraire du langage.
Alors que La Fontaine tirait une morale politique (la souplesse comme art de survivre à la cour) et qu’Anouilh en révélait l’ironie ou l’hypocrisie, Queneau sabote la portée morale même du récit : si le peuplier plie, ce n’est plus par sagesse, mais parce que son nom l’y contraint. La fable cesse donc d’être une leçon pour devenir un jeu où le conflit entre force et flexibilité se résout non par l’expérience ou la prudence, mais par un simple pied-de-nez linguistique.
