Sous le signe du chèvrefeuille

Dans le calendrier républicain français, le 23e jour du mois de prairial, souvent notre 11 juin, était dénommé jour du chèvrefeuille.

Au XIIe siècle, dans un célèbre lai, Marie de France en fait l’emblème de la fin’amor, l’amour courtois, dans un poème inspiré de la légende de Tristan et Iseut :

Recueil de lais bretons, XIIIe siècle

Chassé du royaume de Marc, Tristan finit par revenir en Cornouailles, où il vit caché dans la forêt. Comme la cour doit se rendre à Tintagel à la Pentecôte, il laisse sur le chemin qu’elle doit emprunter son nom gravé sur un noisetier, assorti d’un message :

D’els dous fu il tut altresi
cume del chievrefueil esteit
ki a la coldre se perneit :
quant il s’i est laciez e pris
e tut entur le fust s’est mis,
Ensemble poeent bien durer ;
mes ki puis les vuelt desevrer,
la coldre muert hastivement
e li chievrefueilz ensement.
« Bele amie, si est de nus :
ne vus sanz mei, ne jeo senz vus ! »

(Chievrefueil, vers 68-78)

Ils étaient tout deux
comme le chèvrefeuille
qui s’enroule autour du noisetier :
quand il s’y est enlacé
et qu’il entoure la tige,
ils peuvent ainsi continuer à vivre longtemps.
Mais si l’on veut ensuite les séparer,
le noisetier a tôt fait de mourir,
tout comme le chèvrefeuille.
« Belle amie, ainsi en va-t-il de nous :
ni vous sans moi, ni moi sans vous ! »

(traduction de Laurence Harf-Lancner)

Le stratagème, déjà utilisé entre eux, fonctionne de nouveau, et la reine retrouve Tristan. Ils peuvent enfin se parler à loisir et elle lui explique comment se réconcilier avec le roi Marc. Puis Tristan retourne au pays de Galles en attendant que le roi le fasse revenir et il y compose ce poème.

Comme le note Michel Zink dans son récent Tristan et Iseut, Marie de France « passe le philtre sous silence » et lui préfère « la perfection d’un amour si fort que les amants ne peuvent se séparer qu’au prix de la mort ».

C’est pourquoi ce mythe demeure si puissant et inspire encore des artistes aussi talentueux que Jérôme Rasto qui a illustré avec bonheur la version de Joseph Bédier :

À défaut de noisetier, j’ai mêlé le chèvrefeuille au ginkgo :

Sources :

Lais de Marie de France. Traduits par Laurence Harf-Lancner. Colection Lettres gothiques. Paris : Le Livre de Poche, 1994. pp.264-267.

ZINK Michel. Tristan et Iseut – Un remède à l’amour. Paris : Stock, 2022.

BÉDIER Joseph et RASTO Jérôme. Tristan et Iseut. Paris : Forgotten Dreams, 2022.

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