Dans la tradition antique, notamment chez Plutarque (Vie des hommes illustres, « Antoine », 86), Cléopâtre aurait fait introduire en secret un serpent venimeux dans un panier de figues, afin de tromper les gardes romains et de se donner la mort sans être empêchée, plutôt que d’accepter la reddition.
Ce panier de figues fait partie des attributs iconographiques récurrents de Cléopâtre.
J’ai ainsi pu en photographier le détail, l’été dernier, lors de l’exposition consacrée à Artemisia Gentileschi au musée Jacquemart-André :

C’est le drapé bleu qui attire immédiatement l’œil, en contraste avec la peau pâle de la dernière reine d’Égypte.
On ne remarque qu’ensuite le panier de raisins et de figues d’où sort un petit serpent à la gueule ouverte, ce qui permet d’identifier la scène sans ambiguïté.

Le mystère Cléopâtre
Si vous passez par l’Institut du monde arabe, ne manquez pas l’exposition Le mystère Cléopâtre.
Vous pourrez y repérer figues et serpent dans deux imposantes toiles qui portent le même titre : La Mort de Cléopâtre.


Comme l’indique le cartel, ce tableau du peintre baroque Antoine Rivalz constitue un chef d’œuvre ténébriste. Il emprunte sa posture dramatique à une Déposition, tout en se référant à un marbre antique très sensuel, une Ariane endormie confondue avec Cléopâtre en raison de son bracelet-serpent.
Pour les curieux, voici cette Ariane-Cléopâtre :

Autre toile, encore plus imposante et impressionnante, celle que Jean-André Rixens présenta au Salon de 1874 :

Ce Salon, resté célèbre pour avoir refusé ceux qui deviendraient les Impressionnistes, affichait un goût marqué pour la peinture d’histoire.
Rixens mêle l’académisme et l’orientalisme. Il reprend des détails tirés d’estampes : bronze d’Isis, pectoral de Ramsès II, lotus, vautour, hiéroglyphes… Ce décor égyptisant coloré porte l’attention sur la blancheur de la couche et la morbidité très sensuelle de la défunte.
Pas de serpent ici, mais un grand panier de figues au premier plan qui donne au spectateur la clé de lecture :

D’autres paniers de figues…
J’ai ensuite cherché d’autres toiles.
En 1892, Reginald Arthur choisit de représenter Cléopâtre encore vivante, le serpent posé sur le sein. C’est l’instant de la décision, le moment suspendu avant le geste fatal :

Là encore, le panier de figues se situe au premier plan. Les feuilles épaisses et sombres y créent une ombre inquiétante.
Après le préraphaélisme tardif, remontons en 1653, avec une toile foisonnante de Jacob Jordaens :

L’intention est moralisatrice, illustrant la fin méritée d’une femme libertine et dépensière.
Les perles surdimensionnées aux oreilles de Cléopâtre, accompagnées de larmes de forme similaire, rappellent son pari avec Marc Antoine.
Au livre IX de son Histoire naturelle, Pline l’Ancien narre en effet un épisode où la reine se vante de pouvoir dépenser dix millions de sesterces au cours d’un seul banquet. Pour ce faire, elle détache l’une des perles qu’elle porte aux oreilles, la dissout dans une coupe de vinaigre et la boit.
Jordaens a également représenté cet épisode la même année 1653 :

On voit le fou y ricaner de l’inconséquence de la reine.
Mais aucune des vanités du monde ne protégera Cléopâtre de son destin tragique. Le tableau qui lui est consacré semble pourtant une explosion de vie au moment même où la vie s’éteint, comme si le corps féminin, splendide et offert, se faisait lui-même memento mori.
Loin de seulement effleurer la peau, comme dans la plupart des représentations de cette scène, le serpent, symbole biblique de la tentation, y laisse une marque sanglante.
On peut y voir non seulement la punition d’une femme jugée orgueilleuse, séductrice, païenne, mais également un acte érotisé, une mort voluptueuse, d’autant plus que le serpent adopte une position verticale très phallique.
Cette dernière lecture est d’autant plus crédible que le serpent est associé à des figues très charnues et complaisamment ouvertes. Or la figue possède une connotation érotique ancienne. Sa forme évoque à la fois le testicule quand elle reste fermée et l’intérieur humide et rouge d’un sexe de femme quand on l’ouvre.
Regardez maintenant la figue fendue du tableau de Jordaens, l’analogie est pour le moins troublante :

En ce jour de la figue dans le calendrier républicain, j’ai créé pour mes cartes buissonnières un papier semé de figues aussi bien ouvertes que fermées.
À vous de les offrir, avec le clin d’œil qui convient ou non !

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