L’Amour voleur de miel

C’est le jour du miel dans le calendrier républicain !

Les mésaventures d’Éros selon les poètes antiques

Une ode d’Anacréon relate ainsi :

Ἔρως ποτ’ ἐν ῥόδοισι 
κοιμωμένην μέλιτταν 
οὐκ εἶδεν, ἀλλ’ ἐτρώθη. 
τὸν δάκτυλον παταχθείς 
τᾶς χειρὸς ὠλόλυξε, 
δραμὼν δὲ καὶ πετασθείς 
πρὸς τὴν καλὴν Κυθήρην 
‘ὄλωλα, μῆτερ,’ εἶπεν, 
‘ὄλωλα κἀποθνήσκω· 
ὄφις μ’ ἔτυψε μικρός 
πτερωτός, ὃν καλοῦσιν 
μέλιτταν οἱ γεωργοί.’ 
ἃ δ’ εἶπεν· ‘εἰ τὸ κέντρον 
πονεῖς τὸ τᾶς μελίττας, 
πόσον δοκεῖς πονοῦσιν, 
Ἔρως, ὅσους σὺ βάλλεις;’ 

(Un jour Cupidon n’aperçut pas une abeille endormie dans des roses ; il fut piqué. Blessé au petit doigt de la main, il sanglote, il court, il vole vers la belle Cythérée : “Je suis perdu, ma mère, je suis perdu ; je me meurs : un petit serpent ailé m’a piqué ; les laboureurs le nomment abeille.” Vénus lui répondit : “Si l’aiguillon d’une mouche à miel te fait souffrir, ô mon fils ! combien penses-tu que doivent souffrir ceux que tu atteins de tes coups.”)

Théocrite reprend le même motif dans une idylle, lui adjoignant le vol d’un rayon de miel :

Τὸν κλέπταν ποτ᾿ Ἔρωτα κακὰ κέντασε μέλισσα
κηρίον ἐκ σίμβλων συλεύμενον, ἄκρα δὲ χειρῶν
δάκτυλα πάνθ᾿ ὑπένυξεν. ὃ δ᾿ ἄλγεε καὶ χέρ᾿ ἐφύση
καὶ τὰν γᾶν ἐπάταξε καὶ ἅλατο, τᾷ δ᾿ Ἀφροδίτᾳ
δεῖξεν τὰν ὀδύναν, καὶ μέμφετο ὅττι γε τυτθόν
θηρίον ἐντὶ μέλισσα καὶ ἁλίκα τραύματα ποιεῖ.
χἀ μάτηρ γελάσασα· ‘τὺ δ᾿ οὐκ ἴσος ἐσσὶ μελίσσαις,
ὃς τυτθὸς μὲν ἔεις τὰ δὲ τραύματα ἁλίκα ποιεῖς;’

(Ce voleur d’Eros dérobait un jour dans une ruche un rayon de miel ; une méchante abeille le piqua de son aiguillon et lui blessa le bout de tous les doigts. Et lui, il souffrait, soufflait sur sa main, trépignait et bondissait. Il montra son mal à Aphrodite, se plaignant que l’abeille, une si petite bête, fît si grandes blessures. Sa mère alors se mit à rire : “Eh quoi ? dit-elle ; n’es-tu pas comme les abeilles ? Tu es petit, mais quelles blessures tu causes !”)

À la Renaissance

C’est cette scène qu’illustre Albrecht Dürer en 1514 :

Une quinzaine d’années plus tard, on retrouve Éros voleur de miel piqué par les abeilles chez Cranach l’Ancien :

Sur cette toile que j’ai pu admirer à la National Gallery de Londres une inscription avertit : « DVM PVER ALVEO[LO] F[VRATUR ME]LLA CUPIDO/ FURANTI DIGITVM CV[SPIDE] F[IXIT] APIS/ SIC ETIAM NOBIS BREVIS ET [PERI]TVRA VOLUPTAS/ QUAM PETIMUS TRI[S]T[I] [M]IXTA DOLORE N[O]CET »

(Le jeune Cupidon volait du miel dans une ruche lorsqu’une abeille le piqua au doigt. Il en va de même pour nous : le plaisir bref et fugace que nous recherchons se mêle à la tristesse et nous fait souffrir.)

Il en existe de nombreuses variantes, parmi lesquelles :

À son tour, Ronsard s’inspire des poètes antiques, lui qui transpose l’anecdote et sa leçon dans l’une de ses Odes :

Le petit enfant Amour
Cueilloit des fleurs à l’entour
D’une ruche, où les avettes
Font leurs petites logettes.

Comme il les alloit cueillant,
Une avette sommeillant
Dans le fond d’une fleurette
Luy piqua la main tendrette.

Si tost que piqué se vit,
Ah ! Je suis perdu, ce dit ;
Et, s’en-courant vers sa mere,
Luy monstra sa playe amere :

Ma mere, voyez ma main,
Ce disoit Amour, tout plein
De pleurs, voyez quelle enflure
M’a fait une esgratignure !

Alors Venus se sou-rit,
Et en le baisant le prit,
Puis sa main lui a souflée
Pour guarir sa plaie enflée.

« Qui t’a, dy-moy, faux garçon,
Blessé de telle façon ?
Sont-ce mes Graces riantes,
De leurs aiguilles poignantes ?

Nenny, c’est un serpenteau,
Qui vole au printemps nouveau
Avecques deux ailerettes
Çà et là sur les fleurettes.

Ah ! vrayment je le cognois,
Dit Venus : les villageois
De la montagne d’Hymette
Le surnomment une avette.

Si doncques un animal
Si petit fait tant de mal,
Quand son halesne espoinçonne,
La main de quelque personne,

Combien fais-tu de douleurs
Au prix de luy, dans les cœurs
De ceux contre qui tu jettes
Tes homicides sagettes. »

De Leconte de Lisle à Picasso

Quittons la Renaissance pour nous attarder encore sur ce court poème de Leconte de Lisle intitulé « L’abeille » :

Sur le vert Hymette, Éros, un matin,
Dérobait du miel à la ruche attique,
Mais, voyant le Dieu faire son butin,
Une prompte abeille accourt et le pique.
L’enfant tout en pleurs, le dieu maladroit,
S’enfuit aussitôt, souffle sur son doigt,
Et jusqu’à Kypris vole à tire d’aile,
Oubliant son arc, rouge et courroucé :
– Ma mère, un petit serpent m’a blessé
Méchamment dit-il, de sa dent cruelle.
Tel se plaint Éros, et Kypris en rit :
– Tu blesses aussi, mais nul n’en guérit !

Le poète parnassien est quelque peu pessimiste !

Quant à Picasso, il nous offre une amusante reprise de Cranach :

Je vous laisse méditer sur les diverses morales et interprétations.

Mes cartes buissonnières, elles, sont garanties sans « sagettes » !

Pour aller plus loin :

Cranach Digital Archive

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