« Orange, idée qui éclaire la nuit et se mange à tout moment »
Mahmoud Darwich, Présente absente
Couleur chaude, l’orange prend place entre le rouge et le jaune sur le cercle chromatique. C’est la couleur des forêts en automne, du soleil couchant, des renards, de certaines fleurs, comme ce splendide rhododendron, des citrouilles, des carottes, des mandarines et clémentines…
Et, bien entendu, des oranges !
Je ne résiste pas à partager avec vous cette magnifique Nature morte aux oranges de Matisse, que l’on peut actuellement admirer à l’exposition « Les Choses – Une histoire de la nature morte », qui se tient au Louvre jusqu’au 23 janvier 2023. J’y ajoute quelques pommes de Cézanne dans les mêmes tons lumineux :
Étymologie et histoire
C’est du nom du fruit que provient celui de la couleur, ce qui explique pourquoi l’adjectif demeure invariable (comme marron ou saumon).
D’après le Dictionnaire culturel en langue française dirigé par Alain Rey, orange, écrit orenge à la fin du XIVe siècle, est une ellipse de pume orenge, calque de l’ancien italien melarancio, -a, composé de mela « pomme » et arancio, emprunté par l’intermédiaire de l’arabe au persan narang. Jusqu’à la fin du XVe siècle, le mot désignait l’orange amère, que les Perses transmirent aux Arabes, qui l’importèrent à leur tour en Sicile. Puis l’orange douce, plus suave et plus sucrée, apportée de Chine par les Portugais, a évincé la variété amère tout en accaparant son nom.
L’histoire de la découverte du fruit marque son appellation dans les différentes langues.
Quelques exemples : les Polonais ont conservé la dénomination « pomme orange » avec pomarańcza, tandis que les Allemands disent à la fois Orange et Apfelsine, « pomme de Chine », et Pomeranze pour l’orange amère ; en grec, l’orange tire son nom du Portugal et se dit πορτοκάλι (portokali).
On trouve trace de la « pomme de Chine » dans L’Avare, quand Cléante apprend à Harpagon, qui s’en offusque, qu’il a prévu « une collation » :
« J’y ai pourvu, mon père, et j’ai fait apporter ici quelques bassins d’oranges de la Chine, de citrons doux et de confitures, que j’ai envoyé quérir de votre part » (acte III, scène 7).
La vogue des orangeries
En France, aux XVIe et XVIIe siècles, se propage un goût pour l’orange, encore exotique et rare. À la cour de Louis XIV, l’eau de fleur d’oranger rivalise avec le jasmin et devient très à la mode.
On voit donc se multiplier les orangeries, ces bâtiments où les orangers sont placés à l’abri durant la saison froide : à Versailles, aux Tuileries (l’actuel musée de l’Orangerie), au Jardin du Luxembourg, dans les châteaux de Meudon, de Saint-Cloud, de Sceaux…
Attention à ne pas confondre avec l’orangeraie, qui désigne un verger d’orangers cultivés en pleine terre.
La couleur phare des années 70
Dans le tome Jaune de sa passionnante histoire des couleurs, Michel Pastoureau consacre un chapitre à « l’orangé ». Il y rappelle l’engouement des années 70 pour cette couleur qui répondait à une envie de « rendre la vie plus gaie », avec des appariements plus ou moins réussis (vert pomme, violet…). En effet, quand j’étais petite fille, le canapé du salon était en velours orange vif, tandis que le papier peint de la cuisine arborait de grands motifs géométriques orange sur un fond jaune bouton d’or ! Et, comme tous les enfants de cette époque, je regardais L’Île aux enfants à la télévision, avec Casimir, un dinosaure orange à pois jaunes et rouges.
De nos jours, la couleur orange se fait plus discrète, sauf en Inde et en Asie du Sud-Est puisqu’il s’agit de la couleur sacrée de l’hindouisme et du bouddhisme, censée porter bonheur. La robe safranée de Bouddha proviendrait du linceul d’un mort, drap orange trouvé dans un cimetière au moment où il a renoncé à toute possession. . C’est pourquoi les bonzes tibétains portent une toge de cette couleur.
Pour mes cartes, j’aime aussi utiliser cette couleur tonique et lumineuse :
Sources :
REY Alain (dir.). Dictionnaire culturel en langue française. Paris : Le Robert, 2005.
MOLIÈRE. L’Avare. Paris : Petits Classiques Larousse : 2007.
PASTOUREAU Michel. Jaune – Histoire d’une couleur. Paris : Seuil, 2019. Chapitre « À la marge du jaune, l’orangé », pp. 198 sq.
« L’orange a-t-elle donné son nom à la couleur ou vice versa ? Une étymologie. »
« L’orange » (article érudit et passionnant sur l’étymologie et les noms de l’orange dans les diverses langues européennes)
« L’eau de fleur d’oranger à la cour de Louis XIV »
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